Le Jeu de Paume présente jusqu'au 24 janvier 2016, l'exposition : "Philippe Halsman, étonnez-moi". 300 images et documents originaux sont présentés pour cette rétrospective. Elle prouve l'importance de ce photographe, expérimentateur, qui a photographié les plus grands : Einstein, Hitchcock, Marylin Monroe, Dean Martin et Jerry Lewis, entre autres. Visite.
Il n'y a pas eu d'exposition Haslman à Paris depuis vingt ans, c'est dire si je suis pressé de me rendre au Jeu de Paume. Mes confères sont déjà là. Je suis accueilli par un grand sourire et un café. Philippe Halsman, photographe autodidacte, aime beaucoup l'humour, mais aussi expérimenter de nombreux processus créatifs phototographiques. Si le grand public ne connaît pas son nom, il a déjà vu une de ses photos et s'en souvient. Il faut dire que les clichés d'Halsman sont très chargés en humanité. Et cela, dès le début de sa carrière. Philippe Halsman photographie les plus grandes stars, mais c'est toujours l'homme ou la femme qui se cache derrière le masque à paillettes, qu'il veut révéler. C'est pourquoi, ses photographies sont si singulières et si intéressantes.
Philippe Halsman : Muhammad Ali (né Cassius Clay), 1963. 2015 Philippe Halsman Archive / Magnum Photos.
Accusé
Philippe Halsman est né à Riga en 1906, fils d'un dentiste et d'une directrice d'école primaire. En 1921, il découvre le vieil appareil photographique de son père et commence à s'exercer sur sa famille. Dès 1928, les problèmes surgissent. Son père décède accidentellement, lors d'une randonnée dans le Tyrol autrichien. Ce pays connait un fort mouvement antisémite et Philippe Halsman, qui accompagnait son père, se retrouve accusé de l'avoir tué. Il est condamné à six ans de prison. Sa sœur, Liouba, lance une campagne pour sa libération. Des intellectuels comme Albert Einstein, Thomas Mann et Sigmund Freud se mobilisent.
Paris
Le 26 janvier 1931 Halsman arrive à Paris, grâce à l'intervention du ministre Paul Painlevé, dont le fils, Jean, offre à Philippe Halsman, le meilleur appareil photo sur le marché. Ils se lient d'amitiés et Jean Painlevé le présente aux mondains et intellectuels parisiens. C’est là que tout commence. Haslman, le lettonien, erre dans les rues de Paris, observe et surtout : photographie. J'observe, dans la première salle de l'exposition, une très belle série sur les clochards. Elle montre bien son intérêt pour la vie humaine et surtout : l'expression, d'ailleurs l'influence de l'expressionisme allemand est facilement visible. Je regarde le portrait d'un SDF particulièrement saisissant. A côté, ce "visage-masque" du ministre de la culture André Malraux : très expressif avec un rictus de la bouche et les joues fortement dessinées, grâce à de nombreuses ombres subtiles.
Philippe Halsman : André Malraux, 1934. 2015 Philippe Halsman Archive / Magnum Photos.
New York
De 1931 à 1940, les travaux d'Halsman sont publiés dans la presse : Vogue, "1940", VU et Voilà. Il réalise les portraits de nombreux artistes : André Gide, Marc Chagall. Mais en 1940, Haslman doit fuir l'occupant allemand, il se réfugie aux Etats Unis, à New York. Là, il retrouve sa famille, partie six mois plus tôt. Il propose ses services et son savoir faire à de nombreux magazines américains, dont LIFE. Grâce à ce journal, il rencontre, pour son travail, Marylin Monroe Rita Hayworth, Duke Ellington, le duc et la duchesse de Windsor, Richard Nixon, Albert Einstein, et beaucoup d'autres. Il réalise 101 couvertures pour LIFE. Aux USA, Halsman s'adapte et adopte les codes photographiques américains, à savoir une certaine mise à distance et le portrait total, en pieds.
Une femme fragile
J'observe ce portrait, tellement humain de Marylin. Son corps semble vouloir s'échapper de sa robe plissée, ses épaules remontent légèrement. Elle paraît à la fois d'une extrême fragilité et capable d'une réaction très rapide, comme un petit oiseau... Tellement Marilyn. "Marylin sentait que l'objectif n'était pas seulement un œil de verre. Mais le symbole du regard de millions d'hommes" précise le photographe.
Philippe Halsman : Marylin Monroe, 1952. 2015 Philippe Halsman Archive / Magnum Photos.
L'ami Dali
Dès 1941, Halsman rencontre Salvador Dali à New York. Les deux ont tout pour s'entendre : Ils ont tous les deux vécus à Paris et fuient l'occupant, les deux ont le culte de l'humour et adorent la psychanalyse. Leur collaboration dure 37 ans, cette exposition au Jeu de Paume propose plusieurs exemples de ce travail en commun. Parfois, Dali redessine sur le tirage. Pendant 47 séances, se mélangent, les envies de communication de Dali, sa folie calculée, et le savoir-faire technique d'Halsman. Les deux ont un petit faible pour les idées délirantes. Un jour, Dali propose à Halsman de faire exploser un canard... Halsman lui fait remarquer qu'aux Etats-Unis, avec toutes les associations de défense des animaux, cela n'est forcément une bonne idée... Certaines œuvres d'Halsman sur Dali, sont directement inspirées des toiles du maître catalan, comme "Dali Atomicus", par exemple. J'admire cette photo dans laquelle des chats et une chaise volent, Dali saute devant son chevalet tandis qu'un filet d'eau traverse la photographie. Quelle mise en scène, tout l'esprit de Dali est présent dans cet étonnant cliché. De plus, l'exposition présente une planche, prouvant toutes les difficultés de réalisation, 26 essais et cinq heures de travail, sans oublier l'assistante qui rentre dans le champ, etc, etc. Mais le résultat est exceptionnel.
Philippe Halsman : Dali Atomicus, 1948. 2015 Philippe Halsman Archive / Magnum Photos / Fundacio Gala-Salvador Dali, Figueres, 2015.
Dali's Mustache
En 1953, Philippe Halsman croit voir dans les moustaches de Dali, le symbole de la force imaginative de l'artiste. Les deux compères créateurs ont alors une idée : faire un livre sur les moustaches du peintre. Pendant deux ans, Halsman photographie Dali dans diverses attitudes. Le livre, "Dali's Mustache" paraît en 1954. A propos de ces célèbres moustaches, Dali disait :"Plantées comme deux sentinelles, mes moustaches défendent l'entrée de ma personne".
Philippe Halsman : "Plantée comme deux sentinelles, mes moustaches défendent l'entrée de ma personne", Dali's Mustache, 1953-1954. 2015 Philippe Halsman Archive / Magnum Photos. Fundacio Gala-Salvador Dali, Figueres, 2015.
La Jumpology
Toujours soucieux de psychologie et désireux de découvrir la vérité d'un être humain, Halsman invente en 1950 : la Jumpology. Ce nouveau concept photographique consiste à demander aux modèles, de sauter en l'air. "Lorsque vous demandez à une personne de sauter, son attention se cristallise dans l'acte de sauter, et le masque tombe, de sorte que la personnalité réelle apparaît", affirme le photographe. Il considère la "Jumpology" comme un véritable outil scientifique, au service de la psychologie. Selon la gestuelle du sauteur, il discerne des traits de caractère. Les gens qui sautent les pieds repliés révèlent un caractère enfantin prononcé, ceux qui s'élèvent les bras en l'air, une grande ambition. Halsman fait sa demande de saut auprès des plus grandes stars, des plus grands scientifiques et même auprès d'hommes politiques. Curieusement, peu refusent, et le photographe publie un livre, "Philippe Halsman's Jump Book", en 1959. On peut y voir 170 personnalités en train de sauter. Ah quellle plaisir de voir le duc et la duchesse de Windsor s'envoyer en l'air, toujours très élégants, même en apesanteur.
Philippe Halsman : Le duc et la duchesse de Windsor. 2015 Philippe Halsman Archive / Magnun Photos.
Le cas Marylin
Une star a été difficile à convaincre : Marylin. En 1954, Halsman reçoit l'actrice dans on studio, pour un shooting, sur le thème : "sex-symbol". Monroe se prête volontiers au jeu, mais il obtient une photo plus naturelle en lui demandant de faire un petit saut. A la suite de quoi il lui explique "La Jumpology". Effrayée à l'idée de révéler sa personnalité, Marylin refuse. Mais cinq ans plus tard, pour une couverture de LIFE, la star saute 200 fois, sans réserve. Cette extraordinaire photo en est le résultat. Je la regarde longuement. Marylin Monroe est joyeuse, impertinente, libre, enfantine. Elle semble heureuse d'échapper quelques instants au plancher des vaches. Son image lui échappe et elle l'accepte avec joie.
Philippe Halsman : Marylin Monroe, 1959. 2015 Philippe Halsman Archive / Magnum Photos.
Ironie
Halsman persévère dans son goût pour les mises en scènes, tout en cherchant la vraie personnalité du sujet. En 1962, Halsman se rend à Hollywood afin de réaliser des images promotionnelles pour le film : " Les Oiseaux". J'observe un de ces clichés : Hitchcock regarde l'observateur de son œil narquois, tandis qu'un oiseau est posé sur son cigare. Il tient grâce à un fil que j'aperçois en regardant de près. Tout Hitchcock est dans cette photo : l'ironie, la force, l'acuité du regard, l'humour, le goût de la tragédie. J'ai l'impression que cet oiseau est clairement une menace pour celui qui regarde la photo. Halsman a rendu à la perfection l'esprit du film.
Philippe Halsman : Portrait d'Alfred Hitchcock pour la promotion du film Les Oiseaux, 1962. 2015 Philippe Halsman Archive / Magnum Photos.
Cocteau couteau suisse
Autre exemple de mise en scène : cette photo de Cocteau. J'admire un Cocteau multi mains, ce qui correspond parfaitement à l'artiste : poète, dessinateur, écrivain, cinéaste, fumeur d'opium, pygmalion etc. Le négatif de ce cliché été perdu, il ne reste donc que ce tirage.
Philippe Halsman : Jean Cocteau, l'artiste multidisciplinaire, 1949. 2015 Philippe Halsman Archive.
Hommage et fin
En 1963, la Smithsonian Photography Gallerry de Washington, organise la première grande exposition de Philippe Halsman. Deux ans plus tard, un portrait de Churchill est repris par la poste américaine, pour la création d'un timbre en hommage au grand homme politique. En 1966, Halsman réalise plusieurs longues sessions photographiques avec l'écrivain russe : Vladimir Nabokov. En 1969, il réalise le portrait officiel du président Richard Nixon. Il photographie également Woody Allen et Mae West, mais sa santé décline fortement. 10 ans plus tard, le Centre International de la Photographie de New York présente une rétrospective de l'œuvre d'Halsman. Le photographe, psychologue et metteur en scène, décède à New York le 25 juin 1979.
Le Jeu de Paume nous a habitué à des expositions de qualité, parfois un peu trop intello. Ce n'est pas le cas pour celle-ci. Elle devrait ravir un large public et les spécialistes de la photographie, sans oublier les nombreux fans de Dali. Halsman est un montreur de vie, plein d'inventivité. Je sors et je me dis que ce se serait pas mal de voir nos hommes politiques actuels, nos starlettes, nos prix Goncourt, et nos grands professeurs de médecine, pris en photo, en train de sauter. Non ? En hommage à Halsman, relançons la Jumpology...
Jeu de Paume : 1 place la Concorde, 75008 Paris.
Mardi : 11h-21h.
Mercredi à dimanche : 11h-19h. Fermeture le lundi.
Entrée :10 euros.